Seule ?

La jeune femme avançait à grands pas vers la bibliothèque de Sul-Had, un grimoire à son bras. Elle connaissait par coeur le chemin, celà faisait déjà 10 ans qu'elle était ici, à Emedyr Velhbardh. Son Sorla, un aigle, lui chuchota quelque chose à l'oreille, puis aperçu une silhouette au loin.

"Non, Kaïlenn ! lui ordonna sa Soltar. Arrête ! C'est un élève, ne te jette pas dessus !"
"Bon, ça va ! lui répondit son Sorla. Je suis trop habitué à te protéger !"
"Kaïlenn...Je suis grande, maintenant." se radoucit la jeune femme.

Karlèna Vharlan entra dans la grande et spacieuse bibliothèque, Kaïlenn posé sur son épaule. Celui-ci fit un petit tour dans la pièce, puis revint vers le Maître Mage, qui s'était assise à une table de bois et de marbre blanc. Elle consultait un grimoire offert par son père, Toraahd Vharlan, décédé au cours d'un duel de magie avec l'un de ses ennemis.
Le grimoire était écrit en Emedyr, mais la jeune femme blonde n'eut aucun mal à le déchiffrer. Kaïlenn lui dit, par la pensée cette fois :

*C'est beau, cette bibliothèque, hein ?*
*Oh oui, il faut bien l'avouer. lui répondit Karlèna en esquissant un sourire. Et c'est calme aussi...*

Le Maître Mage observa un instant la bibliothèque, puis se replongea dans son grimoire.

Cherchant toujours cette foutue piscine soi-disant énorme, pas pour autant facile à trouver, Seïren s'était complètement perdue dans le labyrinthe des corridors qui s'enchaînaient les uns sur les autres. Mais combien de kilomètres de couloirs y avait-il dans ce campus, au juste? Cette question arracha un soupir aux deux éternels camarades, Sorla et Soltar, qui déambulaient sans espoir dans le dédale de l'école.
Soudain, Serkaï stoppa net, suivi de sa compagne de route et de vie. Le singe venait d'apercevoir devant lui un terrain de jeu comme il n'avait jamais eu lieu d'apercevoir. Il scruta les étagères, les meubles, les hautes fenêtres, les cheminées : tout pour qu'il laisse libre cours à son désir de réaliser mille et une acrobaties. C'est ainsi qu'il se rua dans l'immense bibliothèques pour commencer un enchaînement de cascades répétées entre les escabelles oubliées et les livres poussiéreux. Ses pas furtifs soulevèrent des nuages grisonnants que Seiren, qui avait bien été obligée de suivre son ami, recevait en pleine figure.
Suivre son dynamique Sorla n'était pas une mince affaire pour une "athlète" comme elle et elle ne mit pas longtemps à trébucher et chuter sur le sol carrelé. C'est alors que, relevant la tête, elle aperçut un aigle perché sur l'épaule d'une très belle femme blonde. Air trop sage pour être encore élève, elle était sans nul doute enseignante.
Après s'être remise debout et d'avoir rappelé son idiot de Serkai, Seiren s'inclina et se confondit en excuse.
- Je suis désolée, je ne devrais certainement pas être ici, professeur. Mon Sorla est un peu fou sur les bords, pardon... expliqua-t-elle d'un air penaud.
*- Hé, Seiren, on n'a rien à se reprocher, arrête de t'excuser... Enfin, désolé quand même de t'avoir fait tomber, je n'ai pas assez fait attention à toi, je me retiendrai de faire mes pirouettes la prochaines fois...
Mine impassible de Seiren, comme s'il n'avait rien dit. Mais en réalité, cette éternelle blessure venait de se rouvrir, ou de s'élargir, peut-être. Serkai pâtit de sa maladresse, de sa nullité, elle le gêne, encore, encore, encore, encore... Elle mit fin à ces répétitions mentales, de peur que sa tête, si vide soit-elle, explose. Mais elle ne put s'empêcher d'y repenser. Elle était un réel boulet pour tout le monde, même pour son Sorla. Enfin, ce n'était pas nouveau, mais cette tristesse de se sentir plus qu'inutile ne s'effacerait jamais de son coeur. Ô désespoir infini...

La professeure aida son élève à se relever, et lui répondit en souriant :

"Ce n'est rien, ne t'inquiète pas."

Elle referma son grimoire, puis s'adressa à la jeune fille :

"Comment t'appelle-tu ? Je suis Karlèna Vharlan, Maître Mage de Langue."
"Et moi, je suis Kaïlenn !" ajouta son Sorla.

Karlèna lui jeta en coin un regard désapprobateur. Le Sorla de la jeune fille ne savait pas parler, et serait sûrement blessé de ne pas pouvoir parler. Mais bon, il l'apprendra bien un jour !
Le Maître Mage épousseta sa robe blanche, indiquant qu'elle était de Sul-Had, puis regarda la jeune fille. Celle-ci avait de longs cheveux noir de jais, et des yeux expresseifs. Elle semblait très intelligente, et non négligée. Un bon point pour un élève !

Seiren fut à moitié soulagée de ne pas s'attirer les foudres d'un professeur dès les premiers jours de cours, mais réalisait que venait ici le début d'une conversation qui risquait de durer assez longtemps pour l'ennuyer. La jeune fille désirait avant tout éviter des relations trop profondes. Elle devrait se forcer à sourire, encore et encore, faire semblant d'aimer, alors qu'elle n'y arriverait pas, pour son plus grand malheur. Enfin, elle était habituée à ne pas arriver à s'accrocher à son entourage. Serkai était à jamais le seul qui avait su convaincre son coeur de lui garder une petite place. Celui-ci donna d'ailleurs un petit coup de coude discret à sa Soltar pour la faire réagir.
Oui, euh...Enchantée, je suis Seiren Maho... Et voici Serkai, mon Sorla. Je m'excuse encore...
Pour ces quelques mots, la jeune élève eut droit à une réprimande cinglante de Serkai. Pour la dernière fois, elle n'avait pas à demander le pardon de cette professeure !

La jeune femme sourit à la dénommée Seïren. Elle se promit d'arranger cette timidité. Si les élèves voulaient devenir de bons Mages, il fallait qu'ils participent vraiment à chacun de ses cours ! Pas qu'ils restent là, coincés sur leur chaise, ne sachant que dire, et ne parlant pas, craignant d'être humiliés par les autres ! Mais Karlèna les comprenait. Après tout, elle aussi avait passé cette épreuve difficile : surmonter sa timidité.

L'aigle, se sentant un peu oublié, poussa un petit cri perçant et aigu. Sa Soltar fronça les sourcils et le gronda mentalement :

*Kaïlenn ! Qu'est-ce qui t'as pris ! On est dans une bibliothèque !*
*Bon, ça va, je voulais juste rappeler à tout le monde que j'existe !*

Le Maître Mage leva les yeux au ciel, puis observa l'élève et son Sorla.